France : une reprise lente, mais sans amortisseur
[ Jean-Paul Betbeze ]
Promis juré : l’économie française n’entrera pas en récession. C’est ce que dit l’Insee : il y a eu une baisse du PIB de 0,1% au troisième trimestre 2023, mais 0% au quatrième. Ouf. La récession comptable (deux trimestres consécutifs de baisse du PIB) sera donc évitée… de justesse. 2023 aura ainsi connu une croissance de 0,8%, à comparer avec 2,5% en 2022 : nous sortons, lentement, du post-Covid.
L’économie française s’ébranlera alors, peu à peu : +0,2% de croissance attendus aux premier et deuxième trimestres 2024. Ceci nous amènera à un « acquis de croissance » de 0,5% en juin, « acquis » si la croissance s’arrête alors. Mais ce sera plus si l’on en croit, encore une fois, la Banque de France qui annonce 0,9% en 2024, puis 1,3% en 2025 et 1,4% en 2026. Mieux encore, ceci permettant cela, l’inflation qui était de 8,7% en 2023 passera à 2,8% en 2024, puis à 1,8%, puis à 1,7% ! Au vu de ces chiffres, la BCE aura déjà commencé à baisser ses taux. Cette reprise ainsi calculée sera faible, autrement dit : fragile.
Mais pourquoi donc ajouter : « sans amortisseur » ? Parce qu’elle ne peut compter sur un accroissement du déficit budgétaire qui irait à l’encontre de ses engagements de réduction dans le cadre européen, ni sur une forte baisse des taux face à un choc adverse qui toucherait la zone. L’économie française sera seule, pour corriger ses longues dérives. Dans ces conditions, on comprend que le rétablissement sera lent, parsemé de crises locales et sectorielles, que de grand noms vont disparaître, et qu’il faudra bien expliquer la nécessité de la patience et les risques de comportements intempestifs, notamment en termes de salaires et de conditions de travail, pour s’en sortir. La concurrence mondiale, toujours sauvage, le sera plus encore dans ces périodes.
C’est alors qu’il faudra faire attention aux messages et aux attitudes. Rien n’est plus facile en effet que d’inquiéter, que de sonner l’alerte sur l’inflation, sur la récession ou, pire, sur une guerre surprise qui pourrait survenir : on voit, lit ou entend en permanence ce type de messages, tous en quête d’attention. Aujourd’hui, le pouvoir est usé pour faire accepter des changements importants et des efforts durables. La preuve : impossible de faire comprendre les hausses d’impôts ou de chômage que ces crises entraînent, pour partie mécaniquement. Et portant, ces hausses aideraient à les résoudre, mais c’est inaudible.
Annoncer l’inflation et dire qu’elle va diminuer le pouvoir d’achat est une évidence mathématique qui suscite néanmoins plaintes et enquêtes. Quels profiteurs et comment les sanctionner ? On oublie toujours que la baisse des revenus réels que l’inflation implique diminue la demande, donc la hausse des prix à venir. Mais impossible de faire accepter qu’on ne peut jamais maigrir sans régime. Pour aller mieux après, il faut souffrir d’abord.
Aujourd’hui, c’est beaucoup plus compliqué. D’un côté, nous faisons face à la révolution de la communication, cette révolution industrielle qui suit celles de la vapeur et de l’électricité, et met plus que jamais le monde à la même heure. D’un autre côté, les effets du changement climatique sont partout perceptibles, faisant changer les mondes futur et ancien, sans que l’on sache les décrire avec précision. Et sans oublier que nous comptons moins de naissances et une durée de vie qui s’allonge : moins de bébés, plus de vieux. Et le tout se passe au milieu de guerres entre pays, sans que l’on puisse en définir les coûts et la durée, même si l’histoire nous dit que ce sont toujours le progrès et la liberté qui gagnent… à long terme.
C’est donc bien une reprise lente et sans amortisseur qui commence, sans vraiment l’accepter, ni y croire. Les pièces du puzzle se dessinent : sortie du pétrole, avancées du solaire, de l’hydrogène et de chaînes de production plus sûres, efficaces et compactes, villes plus denses, bureaux et usines recomposés, maillage de mobilités plus sobres… Mais ceux qui veulent tout compliquer et ralentir sont là aussi, avec leurs « pièces », pour défendre les « valeurs » ou les « acquis », derrière diverses « lignes Maginot ».
Bien sûr, tout ne se passera pas en une fois et dans un même lieu. C’est à une guerre de révolutions que nous assistons, partout. Penser qu’une stratégie défensive sera gagnante, c’est ne rien avoir appris de l’histoire. Le pire serait de désespérer. Ce sera lent et compliqué. Nous devons nous préparer, pour réussir.
Par Jean-Paul Betbeze
Jean-Paul Betbeze a suivi des études de gestion (HEC 72) et d’économie (Doctorat d’état, Agrégation des Facultés de Sciences économiques, Professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas), puis ai dirigé les études économiques du Crédit Lyonnais et celles du Crédit Agricole.