Amélioration de l’environnement juridique des affaires au Burundi : pourquoi le Burundi devrait adhérer à l’OHADA
Dr. Anaclet NZOHABONAYO
Professeur de Droit
Université du Burundi
Introduction
L’espace OHADA a vu le jour avec le traité de l’harmonisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des Affaires, qui a été signé à Port Louis (Iles Maurice) le 17 octobre 1993. Il s’agit donc d’une organisation d’intégration juridique réunissant 17 états membres d’expression francophone, lusophone, hispanophone et dans une moindre mesure anglophone, car le Cameroun est bilingue.
Le droit OHADA est édicté sous forme d’actes uniformes directement applicables dans les Etats membres. Il s’agit d’un droit des activités économiques imaginé par et pour les africains afin de sécuriser l’environnement juridique des affaires et attirer les investissements étrangers. A cet effet, l’un des défis majeurs du Burundi consiste à développer « une croissance soutenue et inclusive pour une résilience économique et un développement durable ».
Ce constat des concepteurs du plan national de développement pour la décennie 2018-2027 (PND 2018-2027) constitue une réalité indéniable. Les nouveaux dirigeants issus des élections de 2020 ambitionnent d’atteindre une croissance à deux chiffres pour sortir le Burundi de l’infamante liste des pays pauvres très endettés. L’ambition séduit, mais sa réalisation exige des réformes audacieuses sans lesquelles elle risque d’être simplement une vue d’esprit. La stratégie réformiste doit être articulée sur des mesures capables de propulser les pays au rang des destinations les plus prisées par les investisseurs.
Dans le secteur du commerce, des investissements et de la protection du droit de propriété, la réforme, à la fois financièrement généreuse et techniquement réaliste pour assainir avec succès l’environnement juridique des affaires, est l’adhésion du Burundi à l’OHADA.
Le temps presse et cinq ans nous séparent de 2027, année d’échéance pour atteindre la cible. Le Burundi éprouve un réel besoin de réviser en profondeur son droit des affaires pour renforcer la sécurité juridique et judiciaire des investisseurs. Cette réforme vaut tout son pesant d’or au regard de la place qu’occupent les investissements étrangers dans le financement du développement. Les conditionnalités et l’octroi à reculons de l’aide au développement ainsi que l’endettement du pays qui freine son accès aux marchés des capitaux justifient par ailleurs l’urgence de la réforme.
Adhésion à l’OHADA comme outil d’opérationnalisation du PND et de rentabilisation des accords d’intégration régionale
Depuis juin 2020, les élections générales ont ramené l’espoir des lendemains meilleurs, car les scrutins n’ont pas occasionné des troubles qui, d’habitude, émaillaient les rendez-vous électoraux au Burundi. Mais très vite, les prévisions optimistes se sont assombries en raison du choc de la pandémie de Covid 19 et de la brutalité de l’inflation « galopante » que la guerre en Ukraine impose impitoyablement aux économies planétaires.
La levée progressive des sanctions économiques de 2015 et la reprise de la coopération économique avec les partenaires offrent cependant des signaux encourageants d’un nouveau départ pour la reprise économique advenant que la pandémie de Covid continue à régresser. Pour relancer la croissance économique et réduire la pauvreté, puisque c’est de ça qu’il s’agit dans le PND 2018-2027, en ses piliers 5 & 11, le Burundi se propose de promouvoir une économie compétitive et saine fondée sur l’attraction des capitaux étrangers et la promotion des produits burundais sur les marchés sous régional, régional et international.
Le Burundi a déjà cerné « la coopération internationale, l’élargissement de son espace au plan économique, la réalisation d’économie d’échelle et le développement des échanges commerciaux » comme gains qui résulteraient de l’intégration régionale. L’intégration garantit l’accès au cadre ainsi que l’exercice des activités dans la zone intégrée. Le développement harmonieux de ces activités doit s’appuyer sur un cadre juridique cohérent et adapté. Le droit OHADA, sans être parfait, conviendrait mieux que le droit actuel burundais des affaires à l’encadrement juridique des activités des investisseurs et d’autres opérateurs économiques.
Nous souscrivons à l’idée que les accords économiques d’intégration régionale ne sont pas une panacée sinon le Burundi s’en sortirait « sans coup férir » vu sa participation active dans le mouvement d’intégration économique régionale. Il est membre de la communauté est africaine, du marché commun de l’Afrique australe et orientale, membre de la communauté économique des états de l’Afrique centrale, membre également de la moribonde communauté économique des pays des Grands Lacs et il est encore candidat « impatient » à l’adhésion à la communauté de développement de l’Afrique Australe. De plus, en juillet 2018, le Burundi a signé l’accord sur la zone de libre-échange continental africain (ZLECAf) et a déposé, le 26 août 2021, l’instrument de ratification.
L’intégration économique dont il est question s’accompagne aussi d’une concurrence entre les économies ainsi intégrées et un pays n’en retirerait les bénéfices escomptés qu’au prix des multiples efforts. Ceux-ci incluent l’assainissement du cadre juridique des affaires que l’administration burundaise actuelle cherche à instaurer. Sans réforme du droit des affaires au Burundi, les accords d’intégration signés seraient comme « une voiture sans carburant » qu’on regarde stationnée sans possibilité d’en user. Pour opérer les réformes nécessaires et opérationnaliser les orientations du PND, l’adhésion à l’OHADA constitue une perspective qui combine réalisme et efficacité.
Les mérites du droit OHADA
Le droit OHADA demeure de tradition civiliste comme les droits des pays membres de cette organisation à l’exception notable du Cameroun où s’appliquent concurremment le droit d’origine romano-germanique et la Common Law d’origine anglo-saxonne. Cette appartenance à la famille des droits romano-germaniques constitue un élément adoucissant qui permet de réformer, sans bouleverser, les principes et les catégories juridiques qui la caractérisent. La famille de droit romano-germanique repose sur les mêmes grandes subdivisions que le droit burundais et cette proximité constitue un élément rassembleur qui diminuerait les frictions et favorisait une transition apaisée vers le système de l’OHADA.
Dès sa conception, le droit OHADA est teinté d’orientation économique. Dit autrement, le droit OHADA est conçu pour les activités économiques. Ses concepteurs le considéraient comme « (…) Un outil juridique imaginé et réalisé par l’Afrique pour servir l’intégration économique et la croissance ». Tant la vigueur de cette pensée résiste à l’obsolescence qu’elle est aujourd’hui l’un des arguments, des non moins valables, pour « introniser » le droit OHADA au Burundi. Le Burundi intégrerait par ailleurs un ensemble juridique de 17 pays membres et offrirait une protection juridique prévisible à ses ressortissants qui investissent dans ces pays. Un droit porté par autant de pays a moins à convaincre relativement à sa prévisibilité et crédibilité.
L’intégration récente de la République Démocratique du Congo (RDC) dans la communauté est africaine majoritairement anglophone constitue une incitation supplémentaire dont le Burundi devrait profiter pour poser et accélérer sa candidature à l’OHADA. La proximité géographique, la même famille juridique et le partage de la langue française constitue des éléments importants qui mettent le Burundi dans un bon positionnement de partenariat avec la RDC.
En effet, tous les pays membres de la communauté est africaine ont les yeux rivés sur le marché de la RDC dorénavant débarrassé des obstacles tarifaires et « théoriquement non tarifaires ». Les forces des uns et des autres pour conquérir ce vaste marché diffèrent, mais, pour l’essentiel, c’est la vigueur de leurs économies qui leur procurent une longueur d’avance en raison de leur système de production et d’industrialisation avancé. Alors que le Burundi paraît économiquement l’un des maillots faibles au sein de la communauté, l’adhésion à l’OHADA constituerait ainsi un atout pour attirer les opérateurs économiques congolais qui sont déjà accoutumés aux pratiques OHADA.
Lorsqu’on dispose d’un système juridique dont la cohérence dans son application et dans l’exécution des décisions dispose d’un degré de notoriété comme celui du droit OHADA, il permet d’attirer les partenaires financiers, car c’est un droit qui leur offre stabilité et sécurité juridique. Comme ci-haut mentionnée, l’intégration économique crée les opportunités d’affaires alors que l’intégration juridique offre des outils juridiques de protection et de supervision des activités économiques.
L’adhésion du Burundi à l’OHADA suscite naturellement des questions techniques. Celles-ci ne peuvent pas manquer sinon, les études de faisabilité et d’impact resteraient sans fondement. Certains avaient, entre temps, estimé que l’appartenance à la communauté est africaine et à l’OHADA souffre d’incompatibilité. Cette préoccupation se conjugue désormais au passé. L’adhésion de la RDC, membre de l’OHADA, à cette dernière communauté, consacre la caducité de la question surtout que son droit est aussi issu de la famille romano-germanique. Du reste, les pays francophones et anglophones se côtoient dans des organisations d’intégration économique régionale. C’est le cas de la communauté de développement de l’Afrique australe qui compte des pays francophones en son sein.
D’autres commentateurs parmi lesquels se rangent les partisans du statu quo s’interrogent sur l’efficacité qu’apporterait le droit OHADA. L’efficacité d’un système juridique dérive de ses mécanismes de conception et de contrôle de son application. La conception du droit OHADA suit une démarche très désintéressée où les cercles d’influence sont rapidement contenus par la diversité des acteurs intervenant dans son élaboration. Les règles de l’OHADA échappent donc au reproche d’un droit taillé sur mesure pour assouvir les intérêts des lobbys dominants ou d’une classe au pouvoir.
Au stade du contrôle d’application des normes, le problème qui hante la justice burundaise concerne les soupçons avérés ou supposés de l’indépendance de la magistrature vis-à-vis de l’exécutif. L’adoption du droit OHADA tranche la question dans la mesure où le système laisse les juridictions nationales juger les affaires, mais le justiciable qui conteste la décision des tribunaux d’appel de son État a le droit de saisir la Cour commune de justice et d’arbitrage qui fait office de cour de cassation pour les États membres dans son domaine de compétence. Les mauvaises décisions sont sanctionnées à ce niveau de la Cour régionale. Le magistrat national n’ayant plus le dernier mot, le système OHADA diminue ainsi les risques de corruption, et de décisions erronées. Les mécanismes de sélections des juges obéissent aux critères de compétence et d’éthique très élevés qui garantissent l’impartialité des juges de la cour.
La stabilité et l’accessibilité du droit OHADA forment deux caractéristiques qui rendraient ce droit adapté à l’environnement burundais des affaires. Les changements incessants du cadre juridique nuisent aux droits des opérateurs économiques. Les droits acquis sont souvent fragilisés ou mis en péril par l’abrogation ou les révisions intempestives du cadre légal lorsque ce ne sont pas de nouvelles réglementations qui introduisent des incohérences susceptibles de compromettre la continuité des affaires. Certes, le droit OHADA évolue, mais lorsque vient le moment de le réviser, les faiblesses sont bien identifiées et les améliorations proposées tiennent compte des multiples apports de la doctrine et de la pratique sur le droit OHADA. Sans critiques constructives, parfois les bases de révision du droit sont hasardeuses et surtout fragmentaires.
Le droit des affaires couvrant plusieurs domaines, le droit des affaires burundais est disséminé dans plusieurs législations sans liens de cohérence et aux objectifs divergeant. Il en découle un problème d’accessibilité et d’interprétation juridique du droit burundais des affaires. Certaines lois sont vieillissantes, d’autres sont inadaptées et surtout moins exposées à la critique, car les décisions judiciaires ne sont pas accessibles en raison de l’absence de leur publication dans des canaux accessibles. L’adoption du droit OHADA revêtirait l’avantage de mettre fin à cette situation d’anachronisme juridique et de positionner le pays sur la voie de la modernisation de son droit des affaires.
Conclusion
L’appartenance aux ensembles économiques régionaux constitue un pas sérieux pour engager le pays dans la voie d’ouverture vers les opportunités de partenariat et d’investissement. Mais pour enclencher les dividendes escomptés, cette dynamique intégrationniste doit s’appuyer sur une législation stable, prévisible et accessible. C’est cette dernière qui est le ferment de la sécurité juridique des affaires. Le besoin d’un droit progressiste qui rassure les investisseurs et d’autres opérateurs économiques a d’ailleurs cristallisé l’attention des rédacteurs PND.
Pour adopter le droit OHADA, les décideurs burundais auront à sortir des sentiers bâtis et à gérer la peur du changement qui bousculerait leurs zones de confort et alimenterait les résistances aux réformes. Certains partisans du statu quo alimentent, sans raison, un pessimisme désapprobateur envers l’adoption du droit OHADA. Un scénario alarmiste décourage l’initiative dans le dessein d’échapper aux ajustements inhérents à toute œuvre réformiste.
Aujourd’hui le pays a un atout immense : c’est l’engouement des potentiels investisseurs attirés par les progrès sécuritaires et l’engagement de l’administration actuelle dans la voie de la bonne gouvernance. Le Burundi a besoin de saisir cette opportunité que lui offre son histoire pour construire un système juridique des affaires à la hauteur de ses ambitions. Cette perspective s’oppose à l’idée de refouler l’adhésion du Burundi à l’OHADA sur base des peurs et des émotions ou d’autres considérations subjectives. La sagesse recommande de s’inspirer des résultats des études de faisabilité et d’impact de l’application de l’OHADA au Burundi dont les conclusions nous paraissent les seuls outils crédibles de décisions rationnelles.
Dr. Anaclet NZOHABONAYO
Spécialiste en droit des Affaires
Professeur de Droit à l’Université du Burundi
Avocat au Barreau de Gitega
Email : nzohabon@yahoo.fr