Musèlement des médias : L’Union Européenne et la France rattrapées par le Mali

▌L’interdiction de la diffusion des médias d’Etat français RFI et France 24 au Mali,  provoque la vive condamnation d’une Union européenne, qui avait pourtant pris une telle mesure contre des médias d’Etat russes, RT France et Sputnik.

 

 

 

 

A5 NEWS –  Dans l’optique de renforcer les mesures de rétorsion à l’encontre de la Russie en guerre contre l’Otan en Ukraine, la présidente de la Commission de l’Union européenne, Ursula von der Leyen, a interdit sur l’espace européen, le 26 février 2022, la diffusion dans l’avenir, des programmes des médias d’Etat russes, en l’occurrence, RT France et Sputnik. Cette censure justifie-t-elle, vise à  réfréner  la propagande russe ainsi que ses travers en Europe, tel qu’elle l’explique :

« Nous développons des outils pour interdire leur désinformation toxique et nuisible en Europe ».

Pour ce faire, l’Union européenne invoque la loi de 1986, qui, révisée et bien qu’encadrée par des précisions de portée négligeable, autorise un Etat à suspendre l’émission sur son sol d’un média étranger : « La loi de 1986, mise à jour avec celle contre les fake news, permet (…) au régulateur de résilier la convention d’une chaîne de TV contrôlée par un Etat étranger, mais seulement en cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. » C’est ce groupe de mots, « intérêts fondamentaux de la Nation », qui contient effectivement l’ambiguïté, source de l’ambivalence dans la mise en application de ladite loi, car, soumise à l’interprétation subjective de son utilisateur.

 

 

Les contestations laissent l’UE imperturbable

Toutefois, certaines d’avoir asséné un violent coup à  la Russie, l’Union européenne et la France restent inflexibles. Dénonçant alors ce qu’elle considère comme une mesure arbitraire, qui ne vise autre chose que l’étranglement de la liberté d’expression consacrée par la Charte Universelle des droits de l’Homme et des Libertés, ainsi que ses multiples Conventions Internationales subséquentes, la présidente directrice d’info de RT France condamne irrévocablement cette censure en ces termes : « La décision de bannir notre chaîne, dans laquelle travaillent 176 salariés, dont plus de 100 journalistes, est une violation de l’Etat de droit et va à l’encontre des principes mêmes de la liberté d’expression. Rien ne peut justifier cette censure. »

L’avalanche des récriminations portées à l’encontre de ce musèlement se poursuit avec le conseil de RT France, Basil Ader, qui s’insurge contre une mesure nouvelle, inconnue de la scène médiatique jusqu’au jour de son invention et de sa mise en application par l’Union européenne : « le bannissement d’un média est une notion inconnue du droit, et difficilement compréhensible s’agissant d’un média français qui emploie plus de 100 journalistes français.»

 La croisade guerrière

Mais pendant que l’Union européenne campe fermement sur la loi de 1986 et ses révisions, comme sur une cuirasse pour la protection de son espace contre la « désinformation » russe et en excipe pour justifier son interdiction de la diffusion des programmes de ces médias, elle dénonce simultanément une mesure similaire, prise par le gouvernement malien contre deux médias d’Etat français, en l’occurrence Radio France Internationale (RFI) et France 24.

 

 

Dénonçant les « fausses accusations » diffusées par les deux médias français, qualifiés d’outils de la « propagande occidentale et la déstabilisation du Mali », les autorités ont ordonné la suspension de leur diffusion dans le pays, le 16 mars 2022. Dans leur croisade contre le nouveaux gouvernement malien proche de la Russie, en guerre contre l’Otan en Ukraine selon le président Vladimir Poutine, la quasi-totalité des médias français s’est braquée contre Bamako.

Rfi et France 24 notamment, ont procédé à une « manipulation » de l’opinion nationale et internationale, à travers un montage dans lequel elles font parler des personnes « instrumentalisées », d’après les autorités maliennes. Au cours de leurs entretiens, ces personnes dénoncent les « exactions » dont elles auraient été victimes de la part des Forces Armées Maliennes (FAMA), et des paramilitaires de la société russe Wagner, toutes deux accusées d’infliger des « atrocités » aux populations civiles, pendant les affrontements contre les groupes djihadistes qui paralysent le pays depuis une décennie.

 La guerre sans limite

Réagissant à la suspension décidée par le Mali, la France a dénoncé, le jeudi 17 mars 2022, de  « graves atteintes à la liberté de la presse » au Mali. Le Quai d’Orsay, confirme de « graves allégations d’exactions » dans le centre du pays, qui ont été documentées « de manière indépendante, et qui ne sauraient être passées sous silence ». Renforçant les convictions de ses collaborateurs, Emmanuel Macron a réagit au cours de la présentation de son programme pour la présidentielle, en qualifiant cette suspension de « signe d’une course en avant vers le pire ».

 

 

Le contenu de cette phrase reste à élucider dans les jours à venir. Cependant, le gouvernement malien « rejette catégoriquement ces fausses allégations contre les vaillantes FAMA ». Le communiqué du porte-parole du gouvernement, le colonel Abdoulaye Maiga, interdit à toutes les radios et télévisions nationales, ainsi qu’aux sites d’information et journaux maliens, la rediffusion et/ou la publication des émissions et articles de presse de RFI et de France 24. Le gouvernement malien pense par ailleurs, que « ces fausses allégations » ont été rapportées les 14 et 15 mars 2022.

Tel est pris qui croyait prendre

Dans ce pugilat médiatique sans limite, ‘Le quotidien Le Monde’ a  publié une enquête visant à illustrer ces violences. Mais d’après le communiqué du gouvernement malien, « ce matraquage médiatique représente une stratégie savamment préméditée, visant à déstabiliser la Transition, démoraliser le Peuple malien et discréditer les vaillantes FAMA. » Toujours selon le colonel Maiga :

« Les agissements de RFI et France 24 ressemblent, dans un passé récent, aux pratiques et au rôle tristement célèbre de la radio “Mille Collines”, qui avait encouragé le génocide au Rwanda en 1994. »

 

 

 

Le communiqué gouvernemental dénonce aussi dans cette croisade contre le Mali, la déclaration, le 08 mars 2022, de Michelle Bachelet, Haut-commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, ainsi qu’un rapport de Human Rights Watch du 15 mars 2022. Celui-ci faisait état d’une « vague d’exécution des civils et des pillages », opérés par l’armée malienne et les djihadistes, qui aurait fait au moins 107 morts civils depuis le mois de décembre.

En définitive, telle serait prise qui croyait prendre, pourrait-on dire  en déplorant la difficile posture d’une France visiblement en ballottage défavorable, dans cette rixe où tous les coups semblent autorisés car, en évoquant abondamment la loi de 1986 pour interdire la diffusion des programmes issus des médias russes sur l’espace de l’Union européenne, on peut se poser la question de savoir si les occidentaux n’auraient pas oublié que ladite loi pouvait aussi bien leur être opposée, même en Afrique, au Mali et partout ailleurs. Dans ce cas, la France ne s’est-elle pas tirée une balle dans le pied ?

 

© A5 NEWS l  Gabriel NOAH

 

 

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