Dix leçons sur la guerre en Ukraine
▌L’analyse de l’attaque de l’Ukraine par la Russie n’est pas près de s’achever. Voici notre écot. ▌
1 – D’abord, chacun fait la guerre pour la gagner ! Donc il n’y a jamais un seul rationnel à l’œuvre. Avant l’attaque russe, nombre d’experts nous expliquaient que la Russie n’avait aucune raison pour se lancer dans une telle aventure : les pressions suffiraient, entre peuples frères.
Puis, quand on voyait les troupes aux frontières russe et biélorusse : il s’agissait d’exercices. Les services secrets américains étaient seuls à ne pas y croire. Mais ils se trompaient, ou nous trompaient : la Russie en sortirait affaiblie, sans gain économique ou géopolitique.
Depuis, on a vu naître d’autres raisons, pro-russes cette fois : l’Ukraine n’a pas respecté les accords de Minsk, la Russie entend empêcher l’extension de l’Otan, elle doit augmenter son poids par rapport à l’Europe, avoir plus d’accès à la mer et de richesses minières et peser plus, bien sûr, par rapport à la Chine…
2 – Toute guerre dépend de l’espionnage. Les États-Unis avaient prévenu de l’agression, sans être crus de leurs alliés. Ce qui ne pouvait qu’encourager la Russie. Avant l’attaque, l’Europe se disait, pour ne pas croire les États-Unis, qu’ils essayaient de promouvoir leurs services d’ « intelligence », après la catastrophe afghane.
De son côté, la Russie pensait être reçue à bras ouverts en Ukraine. Mais pas de guerre éclair, et l’enlèvement du Président ukrainien a raté. Il y a eu, au contraire, une unification extraordinaire du peuple ukrainien et rapide des forces démocratiques contre l’agression russe. Tout le monde s’est trompé.
3 – L’union du peuple fait sa seule force, car toute guerre est hybride : militaire et civile, et désormais plus civile que militaire. Le cas ukrainien montre cette vérité, avec un peuple qui « tient ».
Nous regardons ses civils tués, torturés, blessés, ceux qui souffrent de faim, de froid, avec des coupures d’eau et d’électricité : ils « tiennent ». Et nous, que ferions-nous ? Peut-être est-ce le souci d’Emmanuel Macron, quand il s’adresse aux armées, le 9 novembre à Toulon : « aujourd’hui, nous devons affermir la force morale de la nation sous toutes ses formes… : le temps est venu d’une mobilisation plus intégrale pour nous renforcer collectivement face à ces défis historiques.»
A-t-il été écouté dans ce qu’il a dit, ou critiqué parce que c’est lui qui parle, quoiqu’il dise ? Qu’est aujourd’hui notre « force morale », divisés plus que jamais que nous sommes, si ouverts aux thèses complotistes ?
4 – La guerre est un processus, permanent. L’accent mis par nous-mêmes sur nos faiblesses, plus les stratégies d’influence, les désinformations, les fake news qui nous entourent, les usines à trolls qui visent chez nous des populations ciblées, surtout en période électorale : nous devrions connaître ! Mais sans en tirer les conséquences.
5 – Chaque ministère, média, entreprise doit avoir son service fake news, publier et riposter.
6 – Toute guerre révèle des dépendances. Avec la Russie, elles sont physiques : pétrole, gaz, nickel, lithium, blé, métaux rares… Toutes sont cruciales pour que notre économie fonctionne, et aussi la zone euro, et aussi à moyen terme pour traiter le dérèglement climatique. Ces dépendances montrent nos naïvetés et myopies dans la course au moins cher, avec le gaz russe par exemple.
7 – Toute guerre est une « à la recherche du temps perdu »… par les défaites, pour se refaire. La Russie recherche l’URSS et les Tsars, l’Iran la Perse, la Turquie veut revenir sur le traité de Sèvres de 1920, signé après la victoire des Alliés contre l’Empire ottoman. Et la Hongrie n’a pas digéré le Traité de Trianon qui l’avait dépecée, en 1920 aussi.
8 – La guerre dépend des armes, anciennes et nouvelles. Les anciennes, souvent russes, sont imprécises, plus salles et mortelles que les récentes, mais il s’agit de démolir. Les nouvelles, plus américano-européennes, sont performantes mais moins abondantes. Quant au nucléaire, c’est une question de statut international…espérons-le.
9 – La guerre d’Ukraine ouvre un temps où l’on se dira que tout acte dit commercial n’est jamais que cela. Les « routes de la soie » chinoises ne sont pas douces, et ainsi de suite.
10 – Toute politique est géopolitique et passe par les réseaux, en Afrique et ailleurs, où les présences libérales, économiques et de soft power, sont menacées. Tout est à consolider : « l’armée de métier » du Général devient le métier de tous.
Par Jean-Paul Betbeze