Conseil supérieur de la magistrature : Pourquoi le décret présidentiel divise l’Est ?
Depuis la promulgation du décret du chef de l’Etat rendu public le 10 août 2020, portant nomination de l’ex-ministre de la Fonction publique Angouing Michel Ange, magistrat hors hiérarchie premier groupe, au poste de conseiller technique, l’opinion tout comme la région, semble divisée sur cet acte qui apparait plus comme une humiliation pour toute une région.
Son attitude de réservé et taciturne lui donnerai le bon Dieu sans confession. Un visage d’ange qui cache soigneusement, son côté intransigeant, hardi, rigoureux et voire pondéré. Ange Michel Angouing fait certainement partie de ces figures publiques dans le paysage médiatique camerounais que l’on ne présente plus.
La seule évocation de son nom, rappelle à bien d’égard un certain 17 novembre 2017 où des résultats du concours de l’Enam, s’étaient vus purement et simplement annulés pour vice de forme, par le ministre. Une affaire qui avait fait grand bruit dans le pays, puisque Brenda Biya et son frère Junior, deux jeunes camerounais bien que fils du président, y concouraient.
Les commentaires allaient bon train, et chacun est allé à sa guise. Sauf que rendu 3 années après cette scabreuse affaire, qui avait vu sortir du gouvernement un haut commis de l’Etat encore en activité en martyr, le temps semble être en train d’écrire sa part d’histoire. Son retour aux affaires, par l’entremise d’un décret présidentiel au poste de conseiller Technique du Ministre de la Justice, rendu public le 10 août 2020, pose en lui-même toute une série d’interrogations.
Qui est Ange Michel Angouing ?
Ange Michel Angouing est un homme pondéré, de taille moyenne, muni d’un sourire qui ne quitte presque jamais son visage. Originaire de la région de l’Est Cameroun, il est né le 9 février 1959 à Abong-Mbang, dans le département du Haut-Nyong, plus précisément dans le district de Doumaintang. Il fait ses études dans le chef-lieu de la région de l’Est, où il obtient son baccalauréat littéraire A4 série espagnole en 1978, au lycée de Bertoua. Il s’exile ensuite dans la capitale du Cameroun Yaoundé pour continuer ses études universitaires. Il obtient une licence en droit privé francophone à l’Université de Yaoundé.
Il est admis au sein de l’École Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM), où il va poursuivre ses études, et obtenir le diplôme de magistrat en 1983. Il entame alors une riche et longue carrière dans le corps de la magistrature où il va occuper d’importantes responsabilités au sein de plusieurs juridictions. Il se fera vite remarquer par sa rigueur entre 2011 et 2018 occupera les fonctions de ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative dans le gouvernement Philémon Yang. Il devient ainsi le ministre qui détient le record de longévité à ce poste.
Un acte administratif à géométrie variable
« On a la nette impression que notre région fait l’objet d’un complot au plus haut niveau. L’Est est spoliée de ses ressources animales, forestières et minières depuis plusieurs décennies au profit du développement du pays. Cependant le contraste du développement de cette région est frappant, tout comme l’accès à certaines hautes fonctions au sein de l’appareil étatique par ses fils reste questionnable », confie ce jeune agriculteur rencontré à Nguélemendouka. « La nomination, de Ange Michel Angouing au poste de Conseiller Technique au Ministère de la Justice est une «insulte à notre intelligence ». Jamais on n’a vu cela se faire dans ce pays.
Un ministre, redevenir Conseiller Technique, ce n’est qu’avec un fils de l’Est, pourtant brillant qu’on voit expérimenter ce type de management ? », souligne cet ingénieur de génie civil, originaire de la région de l’Est, rencontré.
A priori l’acte administratif par lequel le Chef de l’Etat, l’autorité compétente, a désigné l’ex-ministre de la fonction publique au poste de conseiller technique, n’a pas que fait des heureux. Bien que joint par téléphone, nous n’avons pas pu avoir le concerné. C’est donc via la magie des réseaux sociaux que nous avons pu capter ce message du nouvel appelé.« Merci sincèrement pour les félicitations à moi adressées à la suite de ma nomination au poste de conseiller technique au ministère de la Justice par son excellence Monsieur le Président de la République, Président du conseil supérieur de la magistrature. Rassurez-vous mes chers frères et sœurs, mes chers amis et autres connaissances je ferai mon devoir tout mon devoir et rien que mon devoir. Le seigneur est au contrôle.»
Le déplacement disciplinaire déguisé
En principe, tout fonctionnaire appelé à «d’autres fonctions» dans le cadre d’un mouvement des agents publics doit effectivement obtenir de l’Administration un autre poste de travail au moins équivalent à son grade. En clair, l’acte de nomination d’un agent public doit tenir compte de son précédent poste.
Il existe cependant une pratique courante qui devient récurrente dans l’Administration publique camerounaise, lors de nominations à des postes de responsabilité. Elle consiste à «écarter» un agent public de ses précédentes fonctions, en «l’appelant à d’autres fonctions» qui ne lui sont finalement pas attribuées. C’est le cas du magistrat hors hiérarchie premier groupe Ange Michel Angouing.
Sorti du gouvernement, alors qu’encore en âge de service, il a dû passer deux années au « garage ». Et c’est au poste de Conseiller Technique au ministère de la justice qu’il va rebondir. L’agent se trouve ipso facto destitué de sa fonction sans que l’administration puisse motiver une telle décision. Cette procédure insidieuse d’écartement des fonctions» se rapproche d’un relèvement des fonctions et pourrait être assimilé à une suspension de fonctions, préalable à une sanction disciplinaire. Dans tous les cas, la mutation, d’office, pour qu’elle demeure légale en réalité, ne doit pas déclasser l’agent.
L’administration doit l’affecter sur un emploi conforme à son cadre d’emploi, même si par ailleurs la mesure s’avère être pour l’agent une diminution de ses responsabilités ou une perte financière, en avantages, en nature, ou encore une modification de ses conditions de travail. Il est constamment rappelé en droit de la fonction publique que la mobilité initiée par l’administration ne doit pas être une sanction disciplinaire déguisée, puisque l’agent ne bénéficie pas en cas de mutation d’office, des mêmes garanties procédurales par rapport à la procédure disciplinaire.
En cas de sanction déguisée qui se caractérise par l’intention répressive de l’administration, c’est l’annulation assurée de la mobilité imposée qui se présente. La mutation d’office ne doit poursuivre un autre but que le bon fonctionnement du service, sans quoi la décision de mutation s’expose à être annulée pour détournement de pouvoir.
En principe, la nouvelle affectation du fonctionnaire ne doit s’effectuer que sur un poste vacant ou créé par l’administration. Ce qui oblige cette dernière au respect des formalités y afférentes, sinon, en cas de contentieux, l’administration doit justifier la décision prise. Ce d’autant plus que ce déplacement d’office produit des effets sur la position des «agents publics mis en réserve de fonctions».
Les récents mouvements à la fois au Conseil Supérieur de la Magistrature tout comme dans cet important corps de la nation, n’ont pas pu rétablir les équilibres. Encore moins les injustices et frustrations que vivent les valeureuses populations de la région de l’Est. Car, après avoir perdu son prestigieux fauteuil au sein du Conseil Supérieur de la Magistrature, cette région avait la légitimité de tout au moins espérer, tenir les rênes d’une juridiction d’exception, dans cet exercice qu’il convient délicatement d’appeler équilibre régionale, mieux encore « partage de richesses et de pouvoirs ».
© Afrique54.net Thierry EBA
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