Tension diplomatique: Ndjamena rappelle son Ambassadeur accrédité au Cameroun

C’est par un décret signé du 17 juillet 2019, que le président tchadien, Idriss Déby Itno, a rappelé le plénipotentiaire Ahmat Mahamat Karambal accrédité auprès de la République du Cameroun.

 

 

Le plénipotentiaire tchadien avait présenté ses lettres de créance au président de la République, Paul Biya, le 10 novembre 2016 au Palais de l’Unité. C’est sans bruit qu’Il quitte provisoirement la scène diplomatique camerounaise. En d’autres circonstances, un acte d’une telle portée n’aurait pas une grande importance. Mais en diplomatie, il exprime un profond malaise dans les relations entre les États concernés.

Le plénipotentiaire tchadien présentant ses lettres de créance au Président Paul Biya, le 10 novembre 2016 au Palais de l’Unité.

Signification du rappel d’un ambassadeur

Pour comprendre ce mode de communication, nous nous sommes entretenus avec un diplomate camerounais ayant requis l’anonymat. « Le rappel d’un diplomate, notamment d’un ambassadeur est une procédure généralement utilisée par l’État accréditant pour signifier à l’État accréditaire son désaccord avec l’une ou l’autre de ses politiques », nous confie-t-il. Et puis de préciser : « Le rappel d’un ambassadeur “pour consultations” signifie que le représentant d’un État est rappelé temporairement, et que pendant cette période, les relations entre les deux pays restent tendues, le temps de résoudre le conflit ».

La décision du président Idriss Déby Itno est-elle le signe des tensions diplomatiques entre Ndjamena et Yaoundé ? On peut donc l’affirmer à la lumière des explications qui précèdent.  D’ailleurs, une source proche des milieux diplomatiques tchadiens laisse entendre que  l’Ambassadeur Ahmat Mahamat Karambal, aurait été rappelé  “pour consultations”. Ce qui laisse entrevoir, sans permettre de savoir exactement de quoi il s’agit, qu’il existe effectivement un malaise de grande envergure entre les deux États.

Non loin de l’environnement tchadien dans la même situation, des sources bien introduites au sein du sérail camerounais affirment  qu’une réunion de hauts cadres de la Beac prévue le 16 juillet à Yaoundé, s’est finalement tenue délocalisée à Ndjamena pour le 24 juillet 2019 à la grande surprise des collaborateurs  de Mahamat Tolli,  gouverneur de cette institution.

 

 

La disparition d’un journaliste tchadien à Douala en toile de fond

C’est depuis 2014 que le gouvernement tchadien demande des explications à l’Etat camerounais au sujet de la disparition survenue le 04 mars 2014 à Douala, du journaliste Noubadoum Sotinan. Reporter en service à la télévision nationale (RNT), Sotiman était en mission officielle à Brazzaville au Congo, avec escale au Cameroun. Le compatriote d’Idriss Déby Itno reste introuvable jusqu’à ce jour, malgré les multiples démarches entreprises par le gouvernement de son pays auprès de l’État du Cameroun pour avoir plus amples informations les circonstances de sa disparition.

Noubadoum Sotinan Didier – Source photo : Afrik Info

En rappel, un point de presse avait été donné le 09 avril 2019 à cet effet à l’ambassade du Tchad au Cameroun par une délégation officielle. Rémadji Ngaradoumbaye Adèle, Directrice des Affaires Juridiques, de la Documentation et des Archives au Ministère tchadien de la Communication, en mission au Cameroun, s’était voulue plus précise sur cette affaire lorsqu’elle déclarait : «…Au niveau de Douala, le 04 mars 2014, faute de passeport valide, le confrère Noubadoum Sotinan Didier n’a pas pu monter dans l’avion qui devait transiter par Nairobi au Kenya, dans la zone hors Cemac, avant d’atterrir à Brazzaville. Depuis ce jour, plusieurs démarches ont été effectuées par le Ministère des Affaires Etrangères et de l’Intégration Nationale en étroite collaboration avec l’Ambassade du Tchad au Cameroun et le Ministère de la Communication du Tchad, pour recueillir des informations sur la disparition de notre compatriote.  En 2014, une mission tripartite Ministère de la Communication ; Syndicat des Professionnels de la Radiodiffusion et Télévision du Tchad (SYNAPORT) ; l’Union des Journalistes Tchadiens (UJT) ; et le représentant de la famille du disparu, son frère cadet Serge Sotinan,  avait été dépêchée au Cameroun, pour réunir des informations sur cette disparition. Cinq année se sont écoulées sans que le mystère autour de notre compatriote, Sotinan, ne soit élucidé…».

Selon les médias locaux, le journaliste Noubadoum Sotinan Didier, en compagnie de deux de ses compatriotes, prenait part aux travaux du Forum International sur les Peuples Autochtones d’Afrique Centrale, organisé  du 04 au 07 mars 2014 à Brazzaville au Congo, par la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC). En attendant le rapport final de l’enquête ouverte depuis 2014 par Yaoundé qui garde toujours un silence assourdissant sur cette affaire, Ndjamena a même tenté d’identifier les corps abandonnés dans les morgues camerounaises.

 

 

N’Djamena trouve des entorses sur la démarche de  Yaoundé

Interrogées subtilement sur les tensions entre Yaoundé et Ndjamena, des sources non officielles  avancent qu’il « est fort possible  que les rapports entre nos deux pays soient grippés. Ils  auraient vraisemblablement pris  un sérieux coup depuis le court séjour perturbé de Paul Biya à Genève par les activistes» en juin dernier. Des informations recueillies par nos fins limiers, qui ont vainement tenté de saisir pour vérifications, les ministres Camerounais de la Communication et  celui des Relations Extérieures,  font état de ce que l’Ambassadeur du Cameroun en Suisse se serait rapproché de son homologue tchadien en Suisse à la suite des accrochages entre les éléments de la garde rapprochée du président camerounais Paul Biya et de ces activistes.

En effet, « L’exploitation des téléphones portables récupérés par  la barbouzerie camerounaise aurait révélé que ces derniers auraient reçu plusieurs appels téléphoniques portant le code téléphonique du Tchad (+ 235) », nous a confié une source digne de foi.  Elle renchérit: « avant de s’attaquer à la suite de notre président, ces compatriotes ayant perdu la raison, ont longuement échangé avec certains de leurs complices établis au Tchad, dont l’identité reste encore mystérieuse».  « La partie tchadienne n’aurait pas bien accueilli la démarche camerounaise. Elle se serait opposée au partage d’informations avec Yaoundé qui voudrait obtenir la collaboration de Ndjamena, afin d’avoir une  claire lisibilité sur les auteurs de ces appels en provenance du Tchad », conclut notre source.

Coup de pinceau sur  une coopération

Rappelons-le. Les relations bilatérales entre le Cameroun et le Tchad se consolident chaque jour.  Ces six dernières années, elles se diversifient sous l’impulsion des deux Présidents Paul Biya et Idriss Deby Itno, qui avait matérialisé cette amitié profonde, en séjournant au Cameroun en octobre 2016, pour apporter son réconfort au peuple Camerounais meurtri par l’accident ferroviaire d’Eséka. A l’invitation de son homologue camerounais, le Président de la République du Tchad, Idriss Deby Itno avait effectué une visite de travail et d’amitié au Cameroun le 22 mai 2014.

Depuis 2009,  Idriss Deby Itno est toujours venu fréquemment au Cameroun, dans le cadre bilatéral ou dans le cadre multilatéral. Ainsi, au plan bilatéral, il a visité le Cameroun le 28 octobre 2009 et le 29 décembre 2011. S’agissant du plan multilatéral, il a pris part à la Conférence internationale « Africa 21» et au Sommet sur la Sûreté et la Sécurité Maritimes dans le Golfe de Guinée organisés à Yaoundé respectivement en mai 2010 et en juin 2013.

 

 

En dehors du front commun que partagent les deux pays sur le plan sécuritaire notamment dans la lutte contre la secte terroriste Boko Haram  et d’autres groupes armés  qui veulent imposer leur diktat dans la zone du bassin du Lac Tchad, le Cameroun et le Tchad ont aussi plusieurs défis à relever dans le domaine économique. Il s’agit notamment de la réalisation des projets les reliant comme le pont sur le fleuve Logone entre Yagoua (Cameroun) et Bongor (Tchad), la route Ngaoundéré-Touboro-Moundou, l’extension du chemin de fer de Ngaoundéré (Cameroun)  à Ndjamena (Tchad).

Une amitié à préserver

Il y a quelques mois, une délégation conduite par le colonel Ousmane Adam Dicki, Directeur général des douanes et des droits indirects du Tchad visitait l’espace que lui octroie le Port autonome de Douala.  Plusieurs hectares de terrain offert au Tchad dans l’arrondissement d’Obala (Cameroun), pour la construction d’un port à sec afin de facilitation des échanges entre ces deux pays qui, selon l’ancien ministre tchadien des Infrastructures, du Désenclavement et de l’Aviation civile,  Adoum Younousmi,  sont «les plus intégrés de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), en termes de réseaux routier, électrique et téléphonique, mais aussi du pipeline pétrolier ». Pour ce qui est du volet universitaire, on dénombre plus  de 2500  jeunes Tchadiennes et Tchadiens qui étudient dans les universités et grandes écoles camerounaises. Et chaque année, il est observé une ruée des jeunes Camerounais pour le baccalauréat tchadien.

En dépit de plusieurs dizaines de postes de contrôle routier qui entravent les échanges commerciaux  comme cela a été ressenti vers mi-juin 2019 avec le mouvement d’humeur des transporteurs tchadiens dans la partie septentrionale du Cameroun, il serait plus sage pour les deux parties de consolider leurs liens d’amitié et de coopération.

De mémoire de journaliste, parlant en 2013 de cette coopération, un diplomate nous laissait entendre  que le sage africain, Idriss Deby Itno, a toujours été soucieux de la préservation des relations harmonieuses entre ces pays frères. Pour lui, le Cameroun a toujours été comme un oiseau mystérieux aperçu rarement dans la savane au Tchad et qu’on n’ose pas tuer ou laisser vivant. «Quand vous le tuez, vous perdez votre mère ; quand vous le laissez vivant, vous perdez votre père.»

 

© Marcien Essimi Bela l Afrique-54.com 

 

 

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